Dans le numéro 24374 du journal Les Echos, l’éditorialiste Jean-Marc Vittori souligne une réalité paradoxale : malgré les discours en faveur des énergies renouvelables, le monde reste toujours aussi dépendant du pétrole. En 2025, les investissements dans l'exploration et la production d’hydrocarbures devraient augmenter, atteignant plus de 1.000 milliards de dollars annuels, tandis que les investissements dans les énergies renouvelables peinent à suivre. Un constat étonnant à l'heure où ces mêmes énergies vertes sont présentées comme la solution aux défis énergétiques et environnementaux mondiaux. Alors, pourquoi ceux qui nous prônent avec tant de ferveur la transition énergétique et nous encouragent à viser 40% de renouvelables pour notre développement choisissent-ils paradoxalement d’investir massivement dans des sources d'énergie plus polluantes ? Une question qui mérite réflexion. La réindustrialisation de l'occident face à la montée en puissance de la Chine devient un enjeu crucial de la géopolitique économique actuelle. Depuis plusieurs années, l’occident a assisté à une délocalisation massive de ses industries vers des pays à faibles coûts de production, surtout en Asie. Résultat : un affaiblissement de son tissu industriel et une dépendance croissante vis-à-vis des importations, notamment chinoises. Pour contrer cette tendance, l’Union Européenne a lancé un processus de réindustrialisation, avec l’objectif de restaurer sa compétitivité et son indépendance économique. Mais pour ce faire, il ne s'agit pas de privilégier l'environnement au détriment du développement. C’est la "realpolitik" européenne qui s’impose. Construire des États prospères en Afrique nécessite une réflexion pragmatique et équilibrée. Pour le Cameroun, la construction d’un État développementaliste exige la même approche de realpolitik, fondée sur des choix stratégiques clairs et réalistes, capables de répondre aux défis économiques tout en garantissant un développement durable. En fonction de nos capacités, il est temps pour nous de développer une stratégie économique et industrielle ambitieuse, visant à devenir un acteur clé du marché mondial. Bien que nous partions de loin et que nos ressources soient limitées, c’est le moment d’investir massivement dans l’industrie, de mettre en place des politiques de subventions et d’adopter une approche axée sur la production à grande échelle. L’objectif : dominer certains secteurs de niche, en allant de la technologie à la production de biens de consommation. L'État doit soutenir les entreprises afin qu'elles bénéficient d'une compétitivité renforcée, leur permettant d’offrir des produits à des prix très compétitifs, notamment sur nos marchés régionaux, où la concurrence européenne serait difficile à soutenir. Concrètement, nous viserons à réduire notre dépendance dans des secteurs stratégiques tels que l’agroalimentaire, les hydrocarbures, l’énergie, le transport, les matériaux de construction (pour l’habitat et les infrastructures routières), ainsi que certaines technologies avancées et services. L'enjeu est de dynamiser notre industrie tout en respectant les valeurs de durabilité et les droits sociaux, afin de rester compétitifs face aux autres puissances économiques et commencer à peser encire plus sur la scène régionale et véritablement sur la scène mondiale. Pour stimuler l’industrie, la croissance et l’emploi au Cameroun, une réforme énergétique s'impose. Il est crucial que l'État se réapproprie le secteur de la production énergétique, comme le font la majorité des pays riches, pour garantir l'autosuffisance et maîtriser les coûts. Cela passe aussi par la renégociation des contrats d'achats d'énergie actuels, en intégrant un calcul plus juste du tarif de production électrique, basé sur le Levelized Cost of Energy (LCOE). Cette approche permettra de renforcer les infrastructures locales, réduire la dépendance aux importations et stabiliser les prix de l’énergie, créant ainsi un environnement propice au développement industriel durable. Une approche stratégique visant à rapprocher le client des lieux de production, en réduisant les lignes de Très Haute Tension (THT), constituera un atout majeur. Cela nécessitera la création de mini-sites de production, particulièrement avantageux pour un pays comme le nôtre, riche en ressources hydrauliques. Ce modèle permettrait non seulement d’optimiser la distribution énergétique, mais aussi de favoriser l’occupation du territoire, en positionnant des industries dans des zones stratégiques et économiquement rentables. Ainsi, nous maximiserions l’utilisation de nos ressources locales tout en stimulant le développement industriel régional. En matière de financement, il est devenu impératif de rechercher des solutions endogènes, adaptées à nos réalités et à nos priorités. L’exemple de la raffinerie Dangoté au Nigeria, qui a su trouver son propre financement pour un projet d’envergure, contraste fortement avec la position de la banque britannique Standard Chartered, qui a refusé de soutenir l'oléoduc EACOP de TotalEnergies en raison de son impact environnemental et social. Ce contraste met en lumière une vérité fondamentale : nos pays doivent prendre en main le financement de leurs propres infrastructures, en particulier celles liées à l’énergie. Cela implique la nécessité urgente de développer des fonds nationaux dédiés à l’énergie et de renforcer le rôle des banques énergétiques locales, afin d'assurer l'autonomie, la durabilité et la résilience de nos projets énergétiques. L’avenir de notre continent se joue ici, et il est temps d’agir avec responsabilité et vision. L’autre des points clés pour stimuler l’énergie, l’industrie, la croissance et l’emploi réside dans l’amélioration du climat des affaires, un concept souvent résumé par l’expression « Doing Business ». De nombreux rapports d'institutions internationales recommandent aux pays en développement d’améliorer leur environnement des affaires comme condition préalable à la croissance. Pourtant, Célestin Monga, économiste de renom et ancien vice-président de la Banque africaine de développement (BAD), met en doute cette vision largement partagée. Selon lui, l’idée selon laquelle les pays en développement doivent d’abord effectuer des réformes administratives, juridiques et fiscales pour réussir économiquement est erronée. Il souligne qu’avant de devenir des puissances économiques, ces pays n’ont pas nécessairement eu un environnement des affaires optimal, mais ont progressé grâce à des politiques industrielles audacieuses, des investissements massifs dans les infrastructures et des stratégies de développement soutenues, souvent accompagnées de protections commerciales et de régulations en faveur de l’industrie locale. Partageant la vision de Célestin Monga, et convaincus que le développementalisme impose de repenser les modèles traditionnels imposés pour bâtir nos propres solutions, nous affirmons les principes suivants : • La prospérité et le développement sont les préalables indispensables à l’émergence d’une véritable démocratie. • Le développement d’un système énergétique adapté à notre croissance économique et industrielle doit primer avant que les diktats environnementaux, souvent ignorés par les pays riches, ne nous soient imposés. • L’identification de nos sources d’énergie doit reposer sur nos ressources primaires, dans l’optique de bâtir des solutions énergétiques de masse, capables de soutenir durablement notre économie. • Il est essentiel de concentrer nos efforts sur la création de bases industrielles solides, génératrices d’emplois et de croissance, avant de se lancer dans des réformes économiques axées sur la compétitivité internationale. Cela passe impérativement par un investissement massif dans la formation technique et professionnelle, car le Cameroun a un besoin urgent d’ingénieurs financiers, scientifiques et techniques. • Il est crucial de créer des champions locaux avant de penser aux investisseurs étrangers, en soutenant activement l’entrepreneuriat local par des subventions, des financements accessibles et des incitations fiscales. • Enfin, nous devons planifier et orienter les investissements stratégiques dans les secteurs prioritaires, sans attendre passivement les propositions des investisseurs. Ainsi, notre vision repose sur une démarche proactive et une réorientation de notre modèle de développement, afin de bâtir un avenir durable et souverain. Cependant, toute cette politique industrialo-énergétique ne pourra se concrétiser que si elle repose sur une justice juste et équitable, à même de garantir la transparence et l'intégrité. Une lutte sans relâche contre la concussion en priorité, suivie d'une action résolue contre la corruption, sera essentielle pour asseoir la confiance et permettre à nos réformes de prospérer. Sans cette base de rigueur et de probité, aucune ambition de croissance et de développement durable ne pourra se réaliser.